Tout allait bien. C'était une belle journée, j'avais signé deux contrats pour de nouveaux défilés haute-couture et personne n'était venu m'emmerder pour je ne sais trop quoi encore. Oui, décidément, tout allait bien. Du moins, jusqu'à ce que je décide, par je ne sais trop quelle idée farfelue, de demander à mon assistante de m'emmener le dernier Velvet Dust parut. Et là, au fil des pages, j'ai eut l'horreur de découvrir une photo de moi, en soirée, parlant à l'oreille de mon premier et plus célèbre mannequin, Long Yi Feng. Jusqu'ici tout va bien me direz-vous, excepté le fait que le message accompagnant la photo laissait entendre que je puisses avoir une quelconque relation amoureuse avec Long. Bien évidemment, j'aurais, dans l'absolu, été parfaitement capable d'avoir une relation physique avec lui, puisque j'en ai avec la plupart de mes employés. Cependant, personne n'était au courant, et qu'un magasine si bas de gamme le sous-entende, m'a mit hors de moi. J'admets qu'en temps normal, je raffole de tous les ragots que les pages de ce journal à scandale contiennent, mais sur le coup, j'ai relu deux fois, puis, avec toute la douceur dont je  puisses être  capable, j'ai balancé le papier à l'autre bout de la pièce, faisant sursauter mon idiote d'assistante. La voix traînante, le regard fixe, j'ai alors lâché « Luang Xi, je veux ma voiture et mon manteau dans les deux prochaines minutes. »

La petite part, affolée. J'aime ce pouvoir que j'ai sur elle. J'aime ce pouvoir que j'ai sur la grande majorité des gens,  à vrai dire. Il suffit que j'ouvre la bouche pour que l'on se mette à pieds, que je claque des doigts pour que l'on se mette en quatre pour réaliser mes désirs. Je peux être le pire des salauds, la planète continue à m'admirer et ce sentiment est encore plus jouissif que le sexe. Les deux sont mêlés, le pouvoir mène le sexe, il le guide, et le porte jusqu'à moi. Les femmes se battent pour partager une nuit avec moi, les hommes aussi d'ailleurs. Elles se mettent à genoux sans attendre lorsqu'elles savent qu'à la clef, elles auront la possibilité de subir mes insultes au quotidien en travaillant pour moi. Comme cette petite Luang Xi qui rêve de réussir dans la mode. Pour l'instant, elle m'obéit au doigt et à l’œil et cette simple soumission pendant une année de sa vie, lui permettra d'être ensuite embauché dans n'importe quelle maison. Je suis un Dieu vivant. Et je compte bien le faire  comprendre à ce cher magasine.

Trois minutes plus tard, manteau sur le dos, je monte au volant de ma  voiture de sport, garée  devant la porte d'entrée. Que mes esclaves travaillent bien. L'air narquois, je démarre en trombe, lunettes de soleil sur le nez, bien que le temps ne soit pas des plus cléments. Une fois les rues franchies, dictées par mon GPS, je  stoppe mon moteur au milieu de la rue, juste devant le bâtiment que je cherchais. Je jette mes clefs à l'homme qui se tient droit à l'entrée. « Gare-là, je la veux devant lorsque je sortirais. » Aucune indication de temps, il devra le savoir, peu importe comment. Je pousse brusquement la porte, les gens se retournent à ce bruit surprenant. Mes enjambés sont larges, droites, comme elles le sont sur un catwalk. Le hall n'est pas si grand et je me stoppe devant le comptoir de l'accueil. Je me tient plus droit qu'un « i », mon visage est fermé lorsque je retire mes lunettes Chanel avant de les poser devant le réceptionniste. « J'ai une réclamation à faire. Je veux voir la personne responsable des photos. » Mon regard se promène sur la personne qui se tient en face de moi, et je ne peux rien faire d'autre que détailler sa tenue. Pas mal. Pas mal du tout. Mon regard se promène sur lui et j'admets que je n'écoute pas un traître mot de ce qu'il peut me répondre, foutue déformation professionnelle.

Qui je suis ? Est-ce que ce gamin vient réellement de me demander de décliner mon identité ? Je ne pensais pas que cela puisse être encore possible dans ce pays. Mon visage est affiché un peu partout, et je suis poursuivit à mes moindres déplacements mais lui, travaillant dans un des plus grands magasines du pays, ne sait pas qui je suis ? Autant dire que je dois avoir l'air de m'être pris une gifle tant je suis stupéfait par cette requête. Je reste con, je crois qu'il n'y a pas d'autre mot. Mon ego est aussi blessé que si l'on venait de m'enfoncer un poing au creux de l'estomac et je reste sans voix, fixant ce jeune homme, haussant un sourcil. À vrai dire, on ne m'a plus posé cette question depuis presque une dizaine d'année. Et ce n'est pas si désagréable que ça, je dirais simplement que c'est surprenant. Ma popularité me plaît, mais  elle est parfois également, effrayante. Les gens ne se rendent pas compte du poids que l'on porte lorsqu'une majeure partie du pays nous suit. La jeunesse rêve de célébrité et ils sont tous plus fous les uns que les autres. Seraient-ils prêt à vendre leurs âmes pour réussir dans tous les milieux que se monde comporte ? Parce qu'il ne faut pas se leurrer, lorsqu'on signe un contrat, lorsqu'on devient célèbre et reconnu, notre vie ne nous appartient plus. J'ai signé un contrat m'interdisant toute vie professionnelle, et je fais signer les mêmes contrats à mes recrus. Nous vendons nos corps, nous ne sommes que des objets obéissants. Bien sûr, plus la popularité est grande, et plus nous paraissons libre de nos choix. Ce qui n'est pas totalement faux. Je choisis les gens avec qui je collabore, je choisis les soirées auxquelles je me rends, mais au fond, tout est calculé. Mon image doit être irréprochable.

J'aime la mode mais j'admets que sortir en jogging, parfois, ne me dérangerait pas et pourtant, il m'est impossible de faire une quelconque apparition publique avant d'avoir passer, au moins, une heure à choisir ma tenue. J'aime le pouvoir que j'ai sur les gens, que personne ne puisse me connaître réellement, mais parfois, j'aimerais aussi avoir de nouveaux amis et ne pas me méfier de tous le monde. J'aime ma vie, mais j'aimerais aussi manger un gros gâteau plein de crèmes, avoir une femme, ou un homme dans ma vie et surtout, j'aimerais pouvoir retrouver ma fille et crier au monde à quel point je l'aime et à quel point elle est magnifique. Parce que peut-être que je ne l'ai connu que six mois, mais je suis certain qu'elle est belle, et gentille. Après tout, sa mère l'était.

Une question, une question et tout mon esprit se trouve perturbé. Pourquoi était-je ici déjà ? Moi que ce gamin ne connaît pas. Oh, oui. Récupérer cette photo dont la rumeur pourrait nuire à ma carrière. Pourtant, je n'en ai rien à faire de cette foutue photo au fond. Que les gens pensent que je puisse avoir une quelconque relation physique avec Yi Feng est même plutôt flatteur. Et un scandale peut même être bon de temps en temps. Ce temps de perturbation semble infini mais en réalité, seules quelques secondes se passe avant que je ne reprennes la parole. « Vous savez quoi ? Vous avez raison. Je trouverais cette personne moi-même. Et apprenez autre chose, je suis Kang Jae Min. Travaillant dans un milieu comme celui-ci, vous devriez connaître mon nom. Par cœur, je dirais même. » Je prend un air agacé mais j'ai en réalité une idée derrière la tête. « Dites-moi, pouvons-nous aller prendre un verre ? » Le gamin est beau, et on dirait qu'il ne le sait même pas. Rien qu'à voir comment il a su agrémenter sa tenue avec des vêtements plus que banal pour en faire quelque chose d'unique, je sais deviner qu'il devrait être ailleurs que derrière l'accueil de ce magasine sans morale.