Say Something. (w/ Guo Daiyu)

Ce soir, je dois être irréprochable. Ce soir, je n'ai en aucun cas le droit à l'erreur, puisque c'est à cause, ou grâce, à une erreur, que je me retrouve ici. Tel un débutant, j'ai vu ce que je ne devais pas voir. J'ai osé entrer dans le bureau de ma supérieure alors qu'elle ne m'avait pas répondu de le faire. J'ai naïvement cru que je ne l'avais pas entendu, ou que je ne la gênerais pas. En effet, j'ai plutôt une bonne relation avec mademoiselle Guo, alors j'ai osé croire un instant que je ne la dérangerais pas. Seulement j'ai eut tord. Je l'ai surprise alors qu'elle se trouvait en pleine activité personnelle. Elle dessinait. Elle dessinait comme moi je chante. Ce n'est pas quelque chose que l'on peut placer au centre de nos conversations lorsque l'on est dans la mafia, c'est quelque chose de secret dont je ne parle à personne. D'ailleurs, bien que je chante dans la rue, personne n'est réellement au courant.

C'est ma passion, mon rêve, qui, je ne le sais que trop bien, ne se réalisera jamais. Je suis né pour tuer, mais je veux vivre en chantant. J'aimerais pouvoir crier mes sentiments au monde entier et pourtant, je ne devrais pas en avoir. Je suis partagé au sein même de mon esprit. Je suis différent le jour et la nuit. Je suis deux personnes tout en n'en étant qu'une seule. Mes Pères m'ont toujours appris que je ne devais me soucier de rien, que je ne devais aimer personne, que c'était à cause de ce genre de ressentit que je me ferais tuer, stupidement. Ils avaient raison, puisqu'ils sont morts en souhaitant se protéger l'un, l'autre. Je les aimais plus que tout au monde, mais désormais, je ne dois plus me faire avoir. Je ne dois plus aimer personne. Je dois être froid, résistant, distant. Seulement, ce n'est pas toujours aussi aisé que cela paraît. J'ai pris l'habitude de ne rien montrer de mes sentiments et pourtant, je reste un être humain, bien que je ne réfléchisse pas toujours comme tel.

En vérité, depuis mon arrivée à Séoul, je me sens terriblement seul. Je vis seul, je reste seul au milieu de cette foule si dense qu'elle ne me voit pas. Je chante, je cri mon mal-être, mais personne ne l'entend. Pourtant, je ne chante pas qu'en chinois, je me donne du mal pour écrire dans leur langue qui, peu à peu, doit devenir la mienne. Je n'aime pas ce pays. Je n'aime rien ici. Ce n'est pas vie, tout ceci n'est qu'un tissu de mensonge que je continue pourtant de créer jour après jour. Je ne suis pas maître de mon destin, je ne l'ai jamais été, je n'y ai même jamais pensé avant de venir ici.

Tout être humain pourrait trouver cette vie pesante mais pour moi, c'est juste normal. Je ne saurais vivre autrement qu'avec cette pression permanente, ces règles, ces devoirs et cette adrénaline que l'on subit lorsque l'on voit la vie s'évanouir dans les yeux de quelqu'un. Est-ce normal aussi ? D'aimer voir les gens souffrir ? Je n'en sais rien. Sans doute un psychiatre me dirait-il que c'est une façon de me libérer de mes chaînes invisibles. Parfois, je m'imagine ce qu'aurait pu être ma vie si elle avait été normale. Peut-être aurais-je suivis des études plus longues, sans doute aurais-je passé des auditions. J'aime à croire que j'aurais eut des parents aimant et un frère ou une sœur qui aurait pu combler ce pesant et constant sentiment de solitude qui m'étreint.

Le fait est qu'il est plus normal pour moi de sortir mon arme que d'enlacer quelqu'un. C'est un handicap certain pour vivre en société. J'apprends peu à peu à vivre parmi les gens normaux, mais je vous admets que lorsque je suis arrivé en Corée du Sud, c'était différent. Aujourd'hui, je sais mieux garder mon calme, je n'attaque pas sans raison et j'arrive à entretenir des discussions plutôt banales. C'est une grande avancée pour moi, et elle me rend fier.

Ce soir, peut-être avancerais-je encore un peu plus. Je tire la dernière latte de ma cigarette avant de l'écraser dans le cendrier à l'entrée du Karaoke puis regarde ma large montre. Je suis arrivé avec plus de vingt minutes d'avance, et j'en suis déjà à ma troisième cigarette. À ce rythme, ma voix sera détruite avant que je ne donne la première note. J'ai donné rendez-vous à ma supérieure pour qu'elle puisse voir ma passion, puisque j'ai surpris la sienne. Je souhaites me faire pardonner et puis, je n'aurais pas d'effort à faire en coréen. Avec un peu de chance, cette soirée sera placée sous une ambiance plus amicale que hiérarchique. Du moins, je l'espère sincèrement.

Lorsque je relève les yeux, elle se trouve dans mon champ de vision. Je m'incline alors sans même vraiment réfléchir, sans penser que cela puisse être suspect devant un endroit si fréquenté par la jeunesse séoulites. Je reste incliné jusqu'à ce qu'elle me donne le droit de me redresser, puis lui adresse un léger sourire en inclinant ma tête à nouveau. « Bonsoir madame. Comment allez-vous ? »

Souffler un coup, souffler deux coups, soupirer longuement. Visage pâle voire translucide, Daiyu s'amuse à se donner des airs de fantôme. Dans sa contemplation ironique, elle en oublie qu'elle doit se préparer. Soin du visage, maquillage; on ne change pas une équipe qui gagne. Même si elle ne sort pas pour le travail, la chinoise se doit être irréprochable et de ce fait, elle ne désire pas que l'on remarque sa fatigue et encore moins son stress. Pas de Burn Out pour moi, ça n'existe pas. J'aime ce que je fais. Mon père aime ce que je fais. Pas de Burn Out. Petite étoile, veille encore un peu sur moi. Comme à son habitude, ses lèvres sont ornées de rouge, ses yeux surlignés d'une courbe noires qui magnifie son regard, un peu de blush rosé pour raviver ce teint post-mortem. Un chemisier noir, un pantalon de la même couleur, les bottines vont avec et la parka elle, est verte kaki. Pourquoi s'apprête-t-elle aussi finement, aussi coquinement alors que là où elle va, on ne se soucie pas de son apparence? Peut-être parce que c'est le seul moment où aimer être à la mode n'est pas une tare, où elle peut montrer son rêve sans que l'on le remarque réellement. Certes, ce ne sont pas des croquis qu'elle porte, mais c'est déjà bien. Il faut savoir se contenter de peu, se plait-elle à penser depuis plusieurs années maintenant. Elle est résignée. Elle s'est contrainte d'elle-même, son père n'a jamais rien imposé.

Faut savoir se lâcher alors comme d'habitude, une fois qu'elle sort du monde mafieux, Daiyu devient une autre. Son air froid elle le garde, mais elle sait le réchauffer avec un sourire. C'est ainsi qu'on la retrouve dans sa voiture, du Gun's N Roses et leur Welcome to the Jungle à secouer vivement sa tête, à fredonner, à chanter dans un bon anglais. Elle arrive. Il lui semble être à l'heure lorsque son regard se pose sur l'heure qu'affiche le tableau de bord de sa voiture. Elle sort, la verrouille et traverse une ou deux rues, un sachet pesant à la main. Elle arrive et voit alors dans son champ de vision son bras droit. C'est ainsi qu'elle le considère. Et même plus qu'un bras droit, elle aimerait qu'ils deviennent amis tous deux. Parce qu'elle se sent en confiance avec lui. Ge Xiao Long. Chinois, comme elle. Déphasé, comme elle. Qui a toujours baigné là-dedans comme elle et qui aspire à un autre rêve, comme elle. Même si sur le coup, elle avait été extrêmement furieuse, Daiyu n'en a jamais voulu à Xiao d'être entré dans son bureau sans sa permission alors qu'elle dessinait des croquis. Il aurait bien fini par l'apprendre un jour de toutes façons. Elle fut et l'est encore d'ailleurs, très surprise qu'il l'invite à un karaoké. Pour voir sa passion? repense-t-elle. Elle a déjà une petite idée à cause du lieu et elle n'a que hâte d'en prendre pleins les oreilles.

Lorsqu'elle s'approche de lui, celui-ci s'incline. Un peu amusée, la demoiselle lui ordonne de se redresser pour éviter les regards suspect. Même les étudiants auprès de leurs enseignants ne sont pas aussi disciplinés. Elle lui offre alors un grand sourire, chose de très rare quand on la voit travailler et posa sa main sur l'épaule du jeune homme pour le pousser à l'intérieur du bâtiment. Intérieurement, la chinoise est heureuse d'entendre quelqu'un parler dans sa langue natale, retour aux racines et c'est ainsi qu'elle lui répond dans cette même langue « Très bien et toi? Tu ne devrais pas fumer tu sais, ça te tuera plus vite que tu ne crois! » Elle ricane légèrement et va près du comptoir pour louer une salle. Elle paye et tire par le poignet le jeune homme sans honte aucune. Elle s'introduit dans la salle et tend son sachet à Xiao.« Du Baiju, ça te tente? » Elle s’assoit sur le canapé après avoir retiré sa parka et s'y installe bien confortablement, dénotant complètement avec la Guo Daiyu que Xiao a pu connaître au boulot. Après tout, elle veut le mettre en confiance. « Et si tu m'en parlais? De cette passion. »

Ce soir, je me trouve dans le monde que j'appelle normal, et c'est dans ce genre de moment que je me rends vraiment compte de ma différente, et de l'importance de l'éducation que j'ai suivi. Je souris à ma patronne, à mon amie et esquisse même un léger rire. Personne ne m'entend jamais rire. Je suis l'être froid et sans cœur par excellence. Seulement ce soir, je suis ici pour me montrer tel que je suis quand l'humain reprend le contrôle. Alors je ris, peu, légèrement, mais je ris. « Oh vous savez, la cigarette ne sera certainement pas la chose qui me tuera en premier. » Le vouvoiement s'échappe de ma gorge avant que je n'ai eut le temps d'y penser. Foutu hiérarchie. C'est important de respecter son supérieur, mais je n'ai pas envie de ça ce soir et bien que je veuille pas prétendre la connaître si bien, je ne pense pas qu'elle ait envie d'une quelconque distance entre nous. Ce soir, nous ne devons qu'être amis.

Lorsqu'elle s'avance, je la suis. Elle se déplace avec élégance. Elle s'habille bien aussi, je l'ai remarqué. Depuis que je suis jeune, j'ai toujours aimé la mode et c'est la seule passion que mes Pères ont tolérés, tant que ça ne nuisait pas à mes missions disaient-ils. Je fais très attention à mon apparence, à ce que je porte et à ce que tout aille ensemble. Ce soir, je l'admets, j'ai profité de l'occasion pour sortir le grand jeu. Boucles d'oreilles, bagues, bracelets, colliers, chaussures cirés, chemise parfaitement repassé et pantalon à pince. J'ai même passé un coup sur ma veste en cuir avant de la mettre. J'admets avoir passé un très long moment à me préparer, mais j'aime ça. J'aime être tiré à quatre épingles. On m'a même accosté pendant que j'attendais Daiyu. Je n'ai pas vraiment compris. La jeune femme m'a prit en photo, elle parlait tellement vite que je n'ai absolument rien compris à ce qu'elle disait. Sans doute devrais-je côtoyer plus de coréens pour me faire à leur langue. J'ai encore énormément de lacunes et ce n'est pas bon.

Elle attrape mon poignet et je la suis docilement, je n'aurais même pas l'idée de la contredire, ou de retirer mon poignet. Je n'ai jamais été habitué au contact humain, aux marques d'affections. Je dirais même que je n'en ai jamais reçu ni donné. Bien sûr, j'ai déjà partagé mes draps, mais ce n'est pas comparable. Tout ceci est bien plus bestial que sentimental, ou du moins, les expériences que j'ai eut l'étaient.
Lorsqu'elle relâche mon poignet et me tend son sachet, je souris. Je suis heureux d'être là avec elle, et de n'avoir personne à tuer ce soir. C'est une soirée de vacances, avec une amie et je compte bien profiter de chaque secondes que l'on m'offre. « Baiju ? Vraiment ? » Je regarde à l'intérieur du sac et mon sourire s'agrandit encore alors que je pose la bouteille sur la table basse au centre de la pièce. « Je demanderais des verres. Avez-vous faim ? » Je marques un temps de pause. « As-tu faim ? » Difficile à dire, mais je me sens mieux de l'avoir fait. Sans doute ai-je osé ces mots en la voyant me mettre à l'aise. Elle aussi est différente. Sans doute est-ce la raison de notre entente.

Je me redresse, attrapant la télécommande près de l'écran, et allume la machine ainsi que la télévision. « Et bien, ma passion est du domaine artistique, comme la tienne. » Je passe les chansons à l'écran, descendant dans la liste à la recherche d'une chanson chinoise que je sois capable de chanter. Enfin, je trouve une chanson de Jason Zhang que j'ai pris l'habitude de chanter dans la rue. Sans un mot de plus, je lance la piste, et m'empare d'un des deux micros posés devant Daiyu. Je me tiens droit, un public, même composé d'une seule personne, reste un public, et je veux qu'elle apprécie. Je ferme les yeux un instant, je souris, mes traits se détendent et je commence chanter ces mots que je ne connais que trop bien. La mélodie est calme, mon esprit se libère. Je ne ressens plus cette pression, ce stress, ce poids sur mes épaules. Lorsque je chante, je suis libre. Libre d'être un homme normal, libre d'être un être humain, libre d'avoir des sentiments et de mener une vie que j'aurais choisis.

Je me sens si bien que je pourrais croire que des ailes me poussent dans le dos. Je pousse ma voix dans les aiguës, j'en suis capable, surtout en chinois. On pourra croire que je n'ai jamais touché à la cigarette tant mon souffle est contrôlé. J'aime ce que je fais. Cette sensation de bien-être ralentit lorsque la musique se stoppe, et j'ouvre les yeux après quelques secondes. Daiyu, face à moi, me fais me souvenir que je ne chantais pas seul, ni dans la rue. Elle est la première membre de la mafia, mes parents mis à part, à me voir ainsi.

Je passe ma main sur ma nuque et frotte un instant mes cheveux avant de venir m'installer à côté d'elle. « Voilà. Je ne suis peut-être pas très doué, mais ma passion, mon exutoire à moi, c'est le chant. »

Daiyu est heureuse. Vraiment heureuse de l'entendre rire et de le voir sourire. C'est que ça lui va vraiment bien, ça le rend bien plus chaleureux. La chinoise ne lui en veut pas pour le vouvoiement. Il n'ira pas lui demander de la tutoyer, cela viendra de lui-même un peu plus tard, elle en est certaine. « Qui sait! La cigarette peut être tout aussi perfide qu'un homme! » Elle lui sourit donc et l'observe un petit moment avant d'aller payer la salle. Il est vraiment bel homme. Il prend soin de lui sans paraître superficiel. Il sait se sublimer et cela ravit la demoiselle. Elle se sent moins seul, il semble lui aussi apprécier le tissu et le bijou.

Une fois dans la salle, elle hausse les épaules en souriant. « Bien oui, vraiment! » Elle se gratte le crâne, la visage penché. « Ah ouais, j'ai pas pensé aux verres! Allons! Buvons au culot, on a pas la rage! » Assise sur le canapé, elle lui sourit à pleines dents, heureuse d'entendre un "tu" dans sa question. « Oui j'ai faim! On commande? Indien? Japonais? Chinois? » Elle lui laisse le choix, elle n'a pas de préférence, tant que son estomac est rempli, elle est satisfaite!

La brune l'écoute alors parler et hoche la tête. « Je me doute, j'ai hâte d'entendre ça! » Au choix de la chanson du jeune homme, Daiyu tape des mains parce qu'elle l'apprécie beaucoup. Dès les premières notes chantées par Xiao, sa peau frissonne violemment. Sa voix est magnifique et suave. Elle ferme alors les yeux, chantant en playback les paroles, crispant parfois son visage de plaisir lorsque celui-ci fait grimper ses notes. Elle ressent un plaisir extrême, un plaisir qu'elle avait très peu de fois ressenti. Celui qu'on ressent lorsqu'on se retrouve au concert de l'un de nos chanteurs préférés, qu'il chante une chanson qu'on adore et que sa voix nous transporte dans des contrées inconnues. C'est exactement la même chose avec la voix de Xiao Long. Jamais elle ne se serait doutée qu'il puisse posséder une telle voix. Elle se sent bien, sur ce canapé à l'écouter chanter, à balancer sa tête de gauche à droite lentement, à se sentir dériver, dans le bon sens du terme, guidée que par ses sentiments et non par des ordres. Elle ne peut que le remercier de lui avoir fait vivre cela.

Elle rouvre les yeux lorsqu'il vient s'asseoir à ses côtés. Ses yeux sont pétillants, son sourire ne la quitte plus. Elle est trop joyeuse. Elle se met à genoux sur le canapé et lui attrape les épaules, un peu gamine sur le coup. « Mon dieu, ta voix est si belle! Ça m'a fait tellement de bien! » Elle marque une pause avant de baisser le visage, un sourire un peu plus mélancolique affiché sur ses lèvres pulpeuse. « Je ne peux que te remercier, de partager ça avec moi! On pourra se faire ça autant que tu veux, ça nous libérera un peu, je pense. »

Je ne peux retenir un sourire. Cette femme est merveilleuse. Elle est ma patronne, elle est ferme, dure et intransigeante mais je la trouve douce, ne me demandez pas pourquoi. Lorsque je l'ai rencontré pour la première fois, j'étais ravi d'entrer à son service. J'étais ensuite heureux de voir qu'elle me faisait confiance et puis, aujourd'hui, je me réjouis de savoir que nous sommes amis, assez proche pour qu'elle connaisse mon plus grand secret. Elle me fait rire à être si enjouée. Elle est tellement différente de ce que l'on peut connaître lorsque l'on travaille pour elle ou avec elle. J'aime à penser que j'ai un privilège à passer ainsi du temps avec elle. C'est sans doute enfantin, ou trop innocent, mais j'aime à le penser. Je n'ai pas pour habitude d'être innocent, c'est étrange.

« Je te remercie, mais ma voix n'est pas si parfaite. Sinon, les gens me donneraient au moins de l'argent dans la rue. » Je ris nerveusement, mais au fond, j'ai raison. J'ai un certain talent, je le sais. Je sais également que je chante juste et que je peux contrôler ma voix avec facilité. Seulement, si elle sortait de l'ordinaire, ou si j'étais vraiment talentueux, les gens se retourneraient, quelqu'un m'aurait repéré et je ne serais certainement pas encore là, dans la rue, à chanter comme bruit de fond pour les passants qui, bien souvent, écoutent leurs propres musiques dans leurs écouteurs. Je suis une décoration, une animation comme une autre.

« J'ai chanté avant que l'on ne commande, je suis désolé... » Je prends une mine d'excuse et attrape le menu posé sur la table basse. « Ils doivent avoir des menus spéciaux ici. » Je feuillette mais il est difficile pour moi de comprendre, parce que si je parle mal le coréen, je le lis encore plus mal. « Je suis désolé, ce n'est pas très élégant de faire ceci, mais pourrais-tu lire pour moi ? Même après quatre années passées ici, je ne sais toujours pas lire cet alphabet. » Je lui tend la carte en soupirant. Ici, je n'ai pas eut droit à une classe pour apprendre la lecture. Cela ne sert à rien, je connais les termes nécessaires, et ils m'ont mis sous les ordres d'une personne parlant ma langue maternelle. C'est handicapant dans la vie de tous les jours. Je ne parles pas anglais non plus, ce n'était pas nécessaire de m'apprendre les matières scolaires de manière approfondit. Je sais lire et écrire en chinois, je sais compter aussi mais pour le reste, je dois sans doute être dans la catégorie des gens stupides et ce malgré les études que j'ai mené. J'ai surtout appris la musique il faut dire.

« On ressortira dès que tu le souhaitera Noona. » Dès ma phrase terminée, je me rends compte de ce que je viens de dire. La familiarité à ses limites, et il me semble que je l'ai franchit. Mon visage devient alors plus impassible et je me redresse pour m'incliner face à elle, mes mains sur mes cuisses. « Veuillez me pardonner, je ne sais pas ce qui m'a prit, je n'ai aucune excuse. » Je m'en veux. Je ne peux cesser de faire des faux-pas avec Mademoiselle Guo. Elle va finir me faire tuer et je ne pourrais rien faire d'autre qu'accepter ma sentence. Je planterais moi-même la lame si elle me le demandait.

Daiyu se réinstalle convenablement, les jambes croisées et les mains posées sur les cuisses. C'est assez étrange, vous savez, de se retrouver face à l'un de vos employés sans contrôler ses expressions faciales, sa façon de se tenir, sa tonalité de voix et ses mots. Elle se sent bien, Daiyu, à laisser ses mots sortir sans qu'une censure vienne contredire le sens du courant verbal. Puis, étrange aussi de voir ce jeune homme qu'elle a l'habitude de voir si froid et distant au travail, si méticuleux devenir un jeune comme un autre, avec rêves et espoirs. Cela lui fait chaud au coeur et elle ne peut que compatir, elle aimerait tellement qu'il perce dans le domaine qu'il chérit tant! Elle fronce les sourcils à la réponse de Xiao Long, cela lui fait mal pour lui. « Les gens sont juste radins et superficiels. Regarde dans la musique qui sort dans ce pays, les gens écoutent avec leurs yeux, plus les habits sont cours, plus ça se vend. Toi tu chantes très bien mais t'es habillé, c'est tout.» Daiyu ne veut pas croire que personne d'autre ne pense comme elle. Son bras droit est talentueux et avec du boulot il maîtrisera encore mieux sa voix. Il suffit juste qu'un jour il tombe sur la bonne personne. Il est jeune, il a encore le temps. Si on enlève l'espoir et le rêve à Daiyu, il ne lui reste plus aucun pilier pour tenir bon dans la vie qu'elle mène et elle espère que ces piliers sont très solides pour Xiao Long.

Par la suite, elle lui fait un signe de main et sourit au jeune homme, montrant alors qu'elle n'est pas en colère. « C'est pas grave, j'ai dévoré ta chanson. » La chinoise rigole légèrement et le regarde faire, intriguée, il est vrai tout de même que son estomac commence à crier famine. Elle lui offre alors un charmant sourire et prend le menu entre ses mains. « Bibimpab, ça te va? Et on peut prendre quelques viandes à griller si tu le souhaites! » Puis elle réfléchit un peu, laissant son regard se plonger sur le poignet du jeune homme, ses orbes perdues dans le vide. « Ca ne te fais rien, de ne pas savoir lire le coréen? Tu n'as pas envie d'apprendre? » Elle plonge son regard dans le sien puis ne peut s'empêcher de rougir au mot Noona tout droit sorti d'entre les lèvres du jeune homme. Cependant, ses rougeurs disparaissent vite pour laisser place à un regard stupéfait par l'attitude du chinois. Elle se lève alors et lui redresse le visage et le corps. « C'est que tu n'as pas à t'excuser. Ici je suis ta noona, ça me va! Lâche-toi! Y a pas de mafia ici, okay? Oublie ça, on est que Xiao Long et Daiyu ici, c'est tout! . » Elle lui ébouriffe légèrement les cheveux, et prend une des bouteille qu'elle ouvre! Elle boit quelques gorgée à même l'objet et le tend au chinois. Pendant ce temps elle appelle le service du Karaoké et commande leur repas. Elle se rassoit et lui fait un clin d'oeil. « Détends-toi hein!. »

H.S:

Je pense que mon comportement pourrait être qualifié de déformation professionnelle. Je considère Daiyu comme une amie plus qu'une supérieure hiérarchique, bien que je n'en oublie pas le respect et l'obéissance que je lui dois. Cependant cette soirée doit être une soirée de détente, de rire et de chant et je risque de tout gâcher à m'excuser ainsi pour ce qu'elle considère visiblement comme dérisoire. Je souris alors, comme pour détendre l'atmosphère, bien que je me détende plutôt moi-même, et attrape la bouteille qu'elle me tend. « Je n'aurais pas dire Noona, mais JieJie. Les mots auront toujours plus de sens pour moi en chinois, peu importe que je vive ici le restant de mes jours. » Je bois une gorgée, tentant de ne pas penser au fait que les lèvres de ma supérieure se soient posées exactement au même endroit quelques secondes plus tôt.

Je reprend place à ses côtés et allonge mes jambes avant de me pencher en avant pour reposer la bouteille sur la table basse. « Ne pas savoir lire ne me dérange pas plus que ça. C'est parfois handicapant, je l'admets, cependant je n'ai pas assez de patience, ou de volonté, pour m'y atteler. Je reconnais quelques signes, quelques lettres, mais j'ai trop de mal avec les voyelles. Je suis ici depuis trois ans, et je n'arrive pas à m'améliorer. Que je saches le parler suffisamment pour être compris m'a déjà demandé beaucoup de temps. J'ai la chance que ma supérieure, ce soit toi. Prends ce que tu veux pour manger, la nourriture d'ici me convient ! » Je l'aime beaucoup en somme. Je sais que ce n'est pas bien, que l'on ne doit pas avoir de faiblesse et que l'amitié, l'amour, la pitié, sont des sentiments qui provoquent la faiblesse. Seulement je n'ai plus personne ici, nulle part ailleurs. Je n'ai que Lydia, mais je ne peux pas être complètement moi avec elle, parce que je dois sans cesse trouver les mots.

« Commande tout ce que tu veux, j'offre pour ce soir, je te dois bien ça JieJie. » J'aime l'appeler ainsi en fin de compte, la proximité s'installe immédiatement, bien que ça puisse tout autant être formel. Je me perds un peu, je ne sais plus trop comment penser. Sans doute devrais-je simplement me relaxer et ne montrer que le Xiao Long qui rêve de devenir idole. Allez, respire, détends-toi pour une fois. Montre lui que tu peux aussi être sociable et pas seulement un psychopathe chanteur et musicien.

« Tu veux chanter à ton tour ? » Je lui tends la petite télécommande qui permet de diriger le logiciel une fois qu'elle a commandé la nourriture puis regarde autour de nous. « Oh, attend ! » Je me lève et ouvre la porte à l'extrémité gauche du canapé, tombant sur une petite salle où sont entreposés quelques instruments. Ce n'est pas une surprise, je viens si souvent ici que je sais qu'ils mettent ceci à disposition dans certaines salles. Sans réfléchir un instant de plus, j'attrape la guitare sèche et reviens m'installer près de Daiyu dans le canapé. « Choisis une chanson et je jouerais ensuite si ça ne te déranges pas ! » J'ai un large sourire au lèvre alors que mes doigts parcourent les cordes sans n'en faire sortir aucun son. Je suis un enfant au milieu de son terrain de jeu préféré et bien que cela semble anodin, je suis heureux de pouvoir le partager.

Elle sourit en retour et hoche la tête aux propos de Xiao quant au fait que les mots sont bien plus sensé en chinois qu'au coréen. « Je suis bien d'accord avec toi! Appelle-moi Jiejie, ça me fait du bien d'entendre ça!» Elle le regarde boire et reposer la bouteille sans que son sourire ne s'efface de son joli visage. « Je vois ce que tu veux dire, puis c'est pas comme si tu en avais vraiment besoin! Mais si jamais un jour ça te tente, dis le moi, je te trouverai un professeur! Je suis contente aussi, que tu travailles pour moi tu sais!» Elle penche la tête quelques secondes, réfléchissant à ce qu'ils pourraient manger. En ayant assez de se prendre la tête pour quelque chose d'aussi insignifiant, elle pose son doigt au hasard sur le menu de la carte et sourit en voyant le nom du plat. « Ça sera bibimbap! Commandons!» Elle s'incline alors légèrement après avoir commandé pour le remercier de sa générosité. Vraiment, il la surprend de secondes en secondes et c'est loin de lui déplaire. « Merci!»

Elle fait les yeux ronds lorsqu'il lui propose de chanter et rougit légèrement. Elle prend le micro et la télécommande et commence à chercher une chanson sur laquelle sa voix irait pas trop mal. « Bouche-toi les oreilles, je risque de te les faire saigner héhé!» Elle rit légèrement avant d'observer, intriguées, ce que fait Xiao Long. Elle sourit en le voyant sortir une guitare sèche d'une petite salle et réfléchit alors un moment, toujours souriante. « Je pense à une chanson d'Anna Tsuchiya; serenade tu connais? Ce n'est pas chinois désolée, mais je pense que c'est l'une des seules que je peux chanter correctement.» Elle sourit, se racle la gorge et commence à fredonner la chanson pour donner le rythme à Xiao Long et se met alors à chanter d'une voix douce mais tout le temps juste.

J'esquisse un rire et la rassure « Ne t'en fais pas, j'ai très certainement entendu pire que ta voix. » Je veux l'encourager, j'ai envie d'entendre son chant, j'ai toujours envie d'entendre la voix des autres. C'est un son différent de celui que l'on produit lorsque l'on parle, un son plus franc, souvent moins travaillé et que je trouve honnête. On peut jouer de sa voix lorsque l'on discute, mais on ne peut plus jouer lorsque l'on chante, on ne peut pas mentir. « Non, je ne connais pas, ou juste de non mais je t'en prie JieJie, chante ce que tu veux, chinois ou non, la musique n'a pas de nationalité. »

Je ne connais Anna Tsuchiya que de nom, j'ai sans doute déjà entendu une de ses chansons, ou deux, mais je ne saurais en nommer aucune. Je reporte mon attention sur ce que ma supérieure et amie me fredonne, les notes se rangeant dans mon esprit alors qu'elle commence à chanter. Le son de l'appareil de karaoke se répand dans la pièce et je suis bien incapable de le suivre à la guitare. Un piano m'aurait été plus familier pour cette chanson. Je tapote alors simplement sur le coffre de mon instrument pour produire un léger rythme et me concentre sur la voix de Daiyu. Elle est douce, claire, bien loin de ce que l'on pourrait imaginer en connaissant son rôle au sein de la mafia coréenne.

Mon sourire s'étire et mes yeux se repose sur mon aînée. Ses traits sont détendus, elle est bien plus belle à cet instant que lorsqu'elle me fait peur. Logique, c'est vrai. Je commence à me détendre, à ne plus sentir la pression, à ne plus avoir l'impression d'être avec ma supérieure mais bien avec une amie, une bonne amie. Je me sens mieux. Patient, attentif, j'attends qu'elle termine sa chanson et m'incline ensuite légèrement en riant puis j'applaudis. « C'était très bien JieJie ! Ta voix n'est pas parfaite, évidemment, mais tu es loin d'avoir fait saigner mes oreilles ! »

Après à peine une minute, on toque à la porte et le serveur arrive avec notre commande qu'il dépose sur la table. Je me lève et attrape mon sac pour en sortir un billet et régler le repas. Une fois ceci fait, je retourne m'installer à côté de Daiyu et lui tend une paire de baguettes avant de prendre la mienne. « Alors, qu'est-ce que tu as pris au final ? » J'inspire l'odeur dégagé par la nourriture et me retient de goûter immédiatement. « Ça sent bon. » Je prends la première assiette entre mes mains et la lui tend, il faut qu'elle mange avant que je ne puisse le faire et sans vouloir la presser, j'ai faim.