Un petit somme. Juste un tout petit. Assis sur son fauteuil, les yeux clos, se laissant maquiller tranquillement, telle était la pensée qui traversait l’esprit de Yi Feng. Il voulait dormir juste un peu pour pouvoir oublier le tambour qui résonnait dans sa tête constamment. Il voulait sa dose. Oui, il était devenu dépendant des drogues depuis quelques années déjà, mais, le mal de crâne dû au manque était toujours plus supportable que celui donné par une overdose d’informations que son cerveau récoltait sans qu’il ne le veuille. Il paraît qu’être surdoué était un don, le jeune homme lui, l’associait plus à des journées dans le noir, plutôt qu’à quelque chose de bon. Dommage. La maquilleuse avait déjà fini son travail. Il était bien, confortablement installé là… Il remercia aimablement l’employée et se leva, réajustant le pantalon qu’il portait… Puisqu’il ne portait que cela. Encore un shooting, oui. Il retourna vers le décor pour écouter les instructions du directeur. Il n’aimait pas ce décor. C’était beaucoup trop coloré pour lui, et ça lui brûlait littéralement les rétines sous ses lentilles. Le but, était de le faire ressortir lui, dans son pantalon noir et son maquillage sombre parmi toutes ces nuances éclatantes. Ils ont tout de même des concepts étranges les créateurs… Surtout pour des jeans. Mais enfin, ne critiquons pas trop Levi’s, cela pourrait porter la poisse. Le métisse prit place dans le décor, et son visage changea du tout au tout d’expression. Impassible, dure, froide. Le photographe ne se fit pas prier, il trouvait cela parfait. Le flash s’allumait tel un clignotant. Il en était ébloui, mais il le gardait pour lui.

La voix de Chang Min, son assistant, se fit alors entendre. Il venait de recevoir un message de Rachel apparemment. Et Yi Feng lui répondait entre les clichés, rien ne l’empêchait de faire plusieurs choses en même temps, jamais. « Elle veut quoi ? » Il s’assit à même le sol, fixant toujours l’objectif. « Elle cherche un cadeau pour Sun Hee ? Et bien réponds lui que je la rejoins dès que j’ai fini ici, à un endroit pas trop évident, histoire que l’on soit tranquille. » Il était clair que de voir une haute placée dans le magazine VD avec un mannequin si célèbre allait donner du matériel à écrire pour d’autres magazines de ragots. Un cadeau pour sa princesse… Que pourrait-il acheter cette fois ?

Porter des lunettes de soleil en pleine nuit était devenu anodin depuis cinq ans. Impeccablement coiffé, les gants de cuir réchauffant ses mains et son écharpe édition limitée cachant une partie de son visage, Yi Feng se dirigeait à l’endroit convenu. Fourrant ses mains dans ses poches, il regardait la neige tomber. Le jeune homme détestait le froid, ou plutôt, il n’y était pas habitué. Il avait pratiquement toujours vécu dans la zone tropicale, équatoriale. Il ne neige pas à Singapour, il ne fait pas froid, il pleut, c’est très chaud, et très humide, mais le froid n’existe pas. Il se crispa un peu dans son manteau rouge, et continua d’avancer jusqu’à la boutique qu’ils avaient dit. Elle était déjà là. Il fallait le dire. Yi Feng appréciait les amies de sa meilleure amie. Bon, entre femmes, elles ne se donnent pas toujours les plus belles idées, mais, il fallait dire que sa princesse était bien entourée. « Toujours aussi souriante à ce que je vois.. » dit-il en guise de salutation. Il ne savait pas ce qu’elle venait de voir, mais elle était agacée, cela se lisait sur la petite courbure que formaient ses lèvres et ses yeux. « Aller, reprends toi, on a un cadeau à dénicher, ha ? »

Noël. A vrai dire pour Feng c’était une date sans signifié, sans signifiant, sans signification quelconque. Pour lui le vingt cinq décembre était juste un jour férié. Point. Un peu comme le onze septembre aux Etats Unis. Il n’avait jamais fêté Noël. Enfin si. Une seule fois. Le dernier mois de décembre qu’il avait passé avec sa mère, il l’avait fêté. Sa mère lui avait offert son passeport, une valise, et le nécessaire pour partir à l’étranger. Pour Feng, Noël n’est pas vraiment quelque chose de joyeux. Vraiment, cette journée était dénuée d’intérêt. Mais depuis qu’il vivait avec Sun Hee, tous les ans, il lui offrait quelque chose. Il refusait de faire un grand dîner avec elle ou autre event qui pourrait amener à croire qu’ils fêtaient ce jour, mais, au moins, il lui faisait un cadeau. A elle, et à son patron, parce qu’il paraît que c’est toujours bien vu. « Je te suis ! » Il n’avait pas vraiment besoin de le dire, il marchait derrière elle déjà, sa main tenue fermement par la jeune femme qui semblait bien décidée à lui montrer ce qu’elle avait bien pu voir. « Mmh.. Je ne suis pas sûr qu’elle ait vraiment besoin de ça, je veux dire, ça ne va strictement avec rien, tout seul c’est beau, mais au bracelet de quelqu’un… » Pourquoi se fatiguait-il à tenter d’émettre un avis critique et constructif ? Il faisait les boutiques avec Rachel. Il n’y avait strictement pas besoin d’être censé. Oui ou non seraient largement suffisants pour elle. « Sha, non, pas de pince à billets… » soupira-t-il en la suivant, laissant la vendeuse en plan. De toute façon cette dernière était moche, aucun intérêt à rester pour lui faire la causette. Comment peut-on travailler dans un endroit aussi fin et être aussi moche ? Sérieusement ? « Non, encore non, on ne vient pas faire du shopping pour toi Sha… » Et encore une fois ses mots ne se firent absolument pas entendre. La montre ? Il l’avait déjà, en deux couleurs différentes et avec une gravure unique. Il se massa légèrement les tempes. Il commençait à avoir la migraine. Trop d’informations se bousculaient dans son cerveau. Le nombre d’ampoules au mur, le nombre de passants, les différentes couleurs que les gens portaient et le pourcentage des plus utilisées. Il ne pouvait pas contrôler ça. Alors il remit ses lunettes de soleil. « Pour énième fois, non à la montre également » chuchota-t-il. Lorsque la vendeuse revint vers eux, il en fut presque soulagé, au moins sa laideur captiverait toute l’attention du jeune homme pendant quelques instants. « Comme je disais toute à l’heure, tout seul le bracelet est beau, mais il n’irait avec rien, rien que Sun Hee puisse porter. Il vaudrait mieux lui prendre un petit bijou si tu veux que l’on s’en tienne à la joaillerie Rachel… Genre une bague, un collier fin, ou une paire de boucles d’oreille. Et arrête de te disperser parce que je te jure que je t’attache à moi à l’aide d’une de ces ceintures en cuir. » Il ne se voulait pas spécialement menaçant, sa voix l’était naturellement. Rachel avait l’habitude de l’entendre dire ce genre de chose, mais la vendeuse elle commençait à maudire le fait que le duo soit venu à elle faire des achats…