Les rues de Séoul sont froides, glaciales. À cette heure tardive, peu de monde se trouve dans les rues et c'est pour cette raison que moi, Ge Xiao Long, je m'y trouve. Les gens qui sont sortis au restaurant sont déjà rentrés chez eux, et les fêtards qui sont en boîte n'en sont pas encore sortis. La ville est calme, seulement animés par les quelques voitures et taxis qui ne cessent jamais leur bal. Je me trouve dans un quartier que je ne connais que mal, un quartier jeune, dynamique et réputé. Je me faufile de ruelle en ruelle, évitant les passants, les lumières et le bruit. J'approche de ma cible. Ce soir, je dois ôter la vie à un homme d'une cinquantaine d'année, employé d'un bar dont les jeunes riches raffoles. Il est gênant. Il en sait trop. Je dois donc le supprimer, comme nous avons supprimé la moitié de l'index du fauteur. Il a laissé l'alcool l'envahir et le faire parler. Erreur impardonnable et pourtant, sa vie a été épargné  parce qu'il est un bon élément. Son doigt à servit d'avertissement, bien qu'à mon avis, nous aurions dû couper sa langue, afin que son erreur ne se réitère pas. À cause de lui, je me trouve ici, et je dois abattre un homme qui n'a rien fait d'autre que son travail. Je vais rendre une femme veuve et deux enfants orphelins de père, tout ça parce qu'un abruti n'a pas su esquiver les questions.

Je soupire alors que j'arrive dans la ruelle où j'ai rendez-vous. Je suis calme, comme toujours. D'un geste sec, j'hausse la manche de ma veste et regarde l'heure. Il ne reste plus qu'une dizaine de minutes à l'homme pour profiter de la vie. Je m'appuie contre le mur, mes épaules et mon pieds droit contre celui-ci. Mon arme est à ma ceinture et mes doigts me démangent. J'ai envie de la dégainer, et de tuer.  Je n'ai fais que surveiller durant les deux dernières semaines et ce n'est pas suffisant à assouvir mon besoin de violence. Je sens que je pourrais partir pour un rien, une simple remarque, un coup de feu, et je tuerais quelqu'un. Ce n'est pas bon. C'est un risque inutile. Daiyu a du le sentir, puisqu'elle m'a elle-même donné cette mission à exécuter. Je suis de bonne humeur. Si bonne humeur que je pourrais m'allumer une clope si ce n'était pas repérable. Je dois être invisible, l'heure approche. J'ai soif de sang. Pourtant je n'ai pas obtenu le droit de lui ôter la vie à l'arme blanche. Il n'est coupable que d'avoir écouter, il a le droit à une mort propre.

J'entends du bruit au loin. Plus qu'une ou deux minute. Je suis euphorique, comme si l'on venait d'annoncer à un enfant un tour de manège. Je glisse ma main dans mon dos, sous ma veste noire, et attrape la crosse de mon revolver. Je le retire de sa place et le charge, mon index longeant la coupe de l'arme.  De mon autre main, je viens enclencher le silencieux sur le canon puis me tapis à nouveau dans l'ombre de la ruelle, prêt à tirer à la première occasion. Je suis concentré, tous mes sens son en éveil, je n'attends plus que ma cible et enfin, je l'aperçois. Il marche, d'un pas nonchalant, son service probablement terminé. Si j'avais des sentiments, sans doute me sentirais-je désolé, hésitant. Il est dommage pour cet homme que j'en sois dépourvu. J'ai été  éduqué pour ne  rien ressentir, pour obéir sans réfléchir et pour aimer mon travail. C'est ce que je fais.

Il vient vers moi. J'amorce un mouvement. Je vais tirer. Enfin. Je le vise, il ne me voit toujours pas. Et puis soudain, un brouhaha envahit mes tympans. Une porte vient de s'ouvrir avec fracas, me mettant dans la lumière.  L'homme me voit alors, et s'enfuit. Mon arme reste pointée sur lui et je tente tout de même de tirer, mais c'est peine perdue et je le sais bien. Le léger bruit que mon arme provoque est tout de même plaisant à entendre, bien que ma balle n'atteigne pas sa cible. Je me retourne, la porte est fermée, et cette jeune femme me dévisage.  Je te fais peur ma belle ? Et bien, ma soirée n'est peut-être pas encore finie. Après tout, me faire rater ma mission et gâcher mon plaisir, c'est passible de la peine de mort ça, non ?

Les humains sont stupides. Ils se laissent totalement dépasser par leurs émotions, guider par leurs envies, leurs peurs ou leurs pulsions. Ils ne comprennent pas que tout ceci n'est qu'illusion, que les seules vraies émotions sont l'adrénaline, le courage et le respect.  Du moins, ça vaut pour moi. À quoi cela sert-il d'implorer pour de la pitié ? N'ont-ils donc aucun respect pour eux-mêmes ? S'ils veulent se sauver, alors pourquoi ne se battent-ils pas ? Si cette femme veut survivre, elle devrait courir. Évidemment, elle n'aurait pas le temps de faire demi-tour que j'aurais déjà tiré, mais au moins elle mourrait avec comme dernière pensée, le fait de s'être battue jusqu'au bout pour la vie à laquelle elle tenait tant. À l'heure actuelle, à me supplier ainsi, elle me donne simplement envie de jouer avec elle. Elle me donne envie de la mettre à genoux et de poser mon canon juste sur sa tempe, de voir la peur dans ses yeux, d'y faire naître ensuite un espoir pour l'anéantir juste avant de tirer, et voir la peur au fond de ses yeux juste avant que la vie n'y disparaisse. Je suis un être odieux.  Pourtant au fond, je ne suis pas différent de cette femme. Au fond, je ne demande qu'à être sauver, moi aussi.

Peut-être que le destin a fait en sorte que cette fille ce trouve sur mon chemin, qu'elle m'empêche de tuer un homme plus innocent que coupable et peut-être aussi, fait-il en sorte que pour une fois, je fasse preuve d'indulgence. Dure épreuve qu'il me donne là. Me pense-t-il  capable d'une telle chose ? Si c'est écrit, alors c'est que ce doit être ainsi. Étrangement, mis à part du dégoût, elle ne me donne pas envie d'autre chose. Je ne ressens pas de réellement envie de tuer. De jouer, oui, mais de tuer, pas vraiment. C'est lui que j'aurais aimé descendre et je change rarement de cible, surtout lorsque la première m'a été donné, alors que l'autre c'est simplement trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment.

Je baisse mon arme. Ses mots ne m'ont même pas atteint. Ils ne sont que la pâle répétition de ceux que j'ai déjà entendu un bon millier de fois.  Une chose m'inquiète bien plus que cette pauvre femme à demi-nue et au beau milieu d'une si dangereuse ruelle : Le bruit.  Avant qu'elle ne débarque, il n'y en avait pas un. Le seul bruit qu'il y a eut, ce fut celui qu'elle a provoqué. Seulement, puisque je l'ai en face de moi, je vois bien que cette fois, il ne vient pas d'elle.  Je tend l'oreille et me tourne vers le coin de rue par lequel s'est échappé celui qui devrait être au sol désormais. Il revient. Si ce n'est pas lui, ce sont des hommes qui viennent me chercher, de sa part. Sans doute n'est-il pas simplement le barman si gentil que l'on croit, auquel cas, il se serait simplement terré dans son appartement miteux avec sa famille. C'est intéressant. Daiyu sera sans nul doute de mon avis.

Il faut que je quittes cette ruelle, j'ai beau être très bon tireur, face à une dizaine d'hommes, je ne fais pas le poids. Et elle, que vais-je faire d'elle ? Je soupire, lève les yeux au ciel et attrape son poignet de ma main libre, la traînant derrière moi alors que je sors de la ruelle en courant pour l'emmener dans une autre. Je sens qu'elle est réticente, et qui ne le serais pas à sa place ? Je la pousse pour que de la rue, elle disparaisse dans la pénombre, puis m'approche d'elle, réfléchissant un bref instant aux mots que je dois prononcer en coréen. « Vous vous êtes mise dans la merde. Désormais, si vous voulez survivre il va falloir me suivrei. On doit partir d'ici. » C'était approximatif, mais j'espère qu'elle a comprit.