La curiosité m’avait menée jusqu’ici. Je crois que jamais je ne m’étais autant engouffrée dans les rues de ce quartier. Zane n’aime pas que je traîne par ici, Zane n’aime pas que je traîne où que ce soit de toute façon quand je suis seule. Mais je ne m’en fais pas plus que ça. Il s’inquiète juste pour moi. Il ignore juste que j’ai dansé dans des quartiers avec une réputation pire que celle-ci, et puis, je sais courir. Je ne sais pas encore me battre, mais je suis menue, alors je cours vite. Ce matin j’ai passé un bon moment sur l’ordinateur. Je ne me suis jamais fait tatouer à Seoul. Je ne sais pas quels sont les bons endroits et lesquels ne le sont pas. Je ne sais pas où c’fiable et où le rapport qualité-prix est sain. Mes tatouages aux poignets je les ai fait lorsque je vivais encore au Japon. Autant dire que ça date un peu quand même. Je pense même que je ne sais plus si j’ai eu mal, ou très mal. Mais, j’en veux d’autres. J’en veux un comme mon frère a. Je veux un de ceux qu’il a pour être plus précise. Et j’aimerais savoir si quelqu’un dans cette ville est capable de faire une copie parfaite de ses tatouages.

Le nom qui revenait le plus souvent dans mes recherches était celui-ci : Fat Buddha Tattoo. Le nom m’a fait rire. Le nom m’a semblé attirant. Alors oui, c’est à cause du nom que j’ai fait la rue en long et en large pendant d’interminables minutes à la recherche de l’entrée de ce tatoueur. Ils ne mentaient pas sur le net lorsqu’ils disaient que ce n’était pas facile à trouver. Ou alors est-ce moi qui suis trop maladroite pour le trouver. Pourtant je n’ai pas un trop mauvais sens de l’orientation… Descendant les escaliers j’ai vu que c’était là. La vitrine montrait des dessins très différents les uns des autres, des photos de gens fraîchement tatoués. La précision des dessins était époustouflante. Je me surprends à avoir les mains à plat sur la vitrine, et lorsque je le remarque je les fourre dans mes poches aussitôt. J’ai laissé la trace sur la vitre, c’est grave ?

Je réajuste mon bonnet sur ma tête, et serre un peu plus mon manteau autour de moi. Il fait vraiment froid ici. Le bruit de la porte qui s’ouvre me fait sursauter. Et mes yeux restent grand ouverts. Da Long ? Ici ? J’ignorais qu’il avait des tatouages, il me l’avait caché. Un doux sourire se dessine sur mes lèvres lorsque son regard croise le mien. Un tout léger. Parce que, hors de chez lui, hors des moments où il était prévu que l’on se voit, Da Long devient très froid et distant. Je m’y suis fait, je ne pose pas de questions à ce sujet. Je n’ai pas le droit de faire ça, il ne me questionne pas non plus lorsque je deviens soudainement muette ou regarde le vide. « T-tu vas b-ien ? » je me frotte la nuque. Je déteste bégayer, ça vient et repart comme ça veut en plus. « Qu’est-c-ce que t-tu fais i-ci ? » Question idiote Nana, tu t’en rends compte au moins ?

A chaque fois que je croise Da Long, je peux m’attendre à tout. Da Long est mon meilleur ami, Da Long est le premier garçon que j’ai connu en Corée, le premier ami que je me suis fait ici. Je travaillais pour lui, je travaillais avec lui. C’est un peu ma parole quand je ne veux pas parler, mon regard quand je ne veux pas voir, ma raison quand je ne veux pas comprendre. Mais, hors des strass et des paillettes, hors du show business, Da Long est quelqu’un de réservé, un peu moins souriant, un peu moins complice, mais toujours chaleureux avec moi. J’ai une confiance aveugle en Zane, et j’ai ce même aveuglement avec DL. « C’est ton ami ici ? Et il travaille bien Ge ? » de la même façon qu’il m’appelle « chan », j’ai appris à dire « ge ». Mais ce qui est étrange, c’est que des fois il comprend, et des fois il ne comprend pas. Depuis ces quelques années, je ne cherche pas à trouver la réelle raison à la chose. Il y a plein de choses que parfois il aime, et parfois il n’aime pas. Des choses qu’il sait, et qu’il ne sait pas. Et il dit que je me trompe avec son prénom : des fois il dit que c’est « petit », et des fois que c’est « grand ». Un jour je lui demanderai pourquoi, pourquoi il semble être deux personnes différentes. Mais j’ai peur de le blesser en étant si indiscrète, parce que peut-être que dans le fond, il est comme moi, et c’est son moyen de protection. « Je vais bien aussi… J-je veux me f-faire tatoue-er encore… » Je sors ma main droite de ma poche, et lui remonte un peu la manche de mon teddy, pour laisser mon poignet visible. « J-je veux rajouter à ce tatouage… » Il n’y a que « Dance » écrit en lettres capitales d’imprimante sur ma peau. Je veux un grand tatouage, je veux le bras tatoué.

Je lève la tête pour le regarder bien de face, il est trop grand par rapport à moi. Une moue incertaine se dessine sur mes lèvres, pensive. « Mais n-non, je ne v-vais pas souf-frir maintenant ! Non ! Je veux savoir si ici c’est bien, parce que… » Je ne trouve plus mes mots. Je tape du pied. Ca me frustre quand je veux parler, mais que je ne peux pas. C’trop dur le coréen, je ne suis pas coréenne moi, je sais parler anglais, ça ne suffit définitivement pas apparemment… Je tape une seconde fois du pied et sors mon portable de ma poche, cherchant une image dans mes fichiers. « Ah, this one ! » Tenant mon portable dans ma main, je lui montre l’image. J’ai pris le bras de Zane en photo, ou pour être plus precise, le tatouage qui couvre l’intégralité de son bras. « Je veux… ça. » Mon coréen devient soudainement très simpliste mais au moins il comprendra. « Il peut faire ça Ge… ? » je cligne plusieurs fois des yeux en le regardant curieuse, si le tatoueur est capable de reproduire le dessin sur des planches, pour que je puisse les montrer à Zane, j’aurais peut-être plus de chances pour qu’il me laisse faire ce même tatouage.