Ma raison somnolait, ma conscience me conseillait, mon subconscient me déconseillait, mais mon esprit voulait s'envoler

 Je me souviens bien de mon enfance, quand j’étais fille unique. J’étais une petite princesse, mes parents cédaient à tous mes caprices, j’étais la prunelle de leurs yeux. Je n’étais pas difficile, mais je savais que je pouvais obtenir tout ce que je voulais. Et puis quand j’avais huit ans, ma petite sœur est née. Elle était parfaite. Je l’ai aimé tout de suite. Mes parents aussi, je dirais qu’ils ont  commencé à me délaisser à ce moment-là. Elle ressemblait plus à ce qu’ils avaient désirés. Je ne lui en veux pas, ma sœur était parfaite, je pouvais comprendre. Nous étions très proche, je prenais vraiment soin d’elle, même si ma mère n’aimais pas mon rôle de grande sœur. J’ai commencé à me détacher d’eux et à reporter tout mon amour sur ma sœur. J’ai appris à me débrouiller seule. J’avais l’impression d’être de trop. C’était une sensation étrange, surtout pour une gamine. Ça n’a pas joué sur mon adolescence, je me faisais toute petite pour ne pas les déranger. Je n’étais pas rebelle, ni sportive, ni la plus intelligente. J’étais une ado normale. Je ne parlais jamais de ma famille à mes amis et je ne les faisais jamais venir chez moi. Je trouvais toujours des excuses.

J’étais souriante et pleine de vie, surtout en compagnie de ma petite sœur. Je vivais pour elle, j’écoutais tous ses soucis, je la conseillais. Elle faisait partie de moi, nous étions fusionnelles et elle ne comprenait pas pourquoi papa et maman me traitaient de cette façon.
Après le lycée, j’ai directement passé mon permis, pour me sentir plus libre et enfin prendre mon envol. J’allais me lancer dans des études de droit. Pour ses dix ans j’ai emmené ma sœur voir une comédie musicale. Elle en était folle. C’était une grande soirée ! Elle pouvait s’assoir à côté de moi dans la voiture comme une grande. Tout se passait bien jusqu’à ce qu’un camion écrase ma voiture. Je n’ai pas eu le temps de réagir ni même de comprendre. Il avait dû griller le feu rouge et nous étions sur sa route. Je ne me souviens plus de grand-chose, simplement de m’être réveillé à l’hôpital avec un mal de tête infernal.

Mes parents n’étaient pas là et à chaque fois que je demandais où était ma sœur personne ne répondait. Une infirmière m’a simplement dit qu’elle était décédée sur le coup. J’ai cru mourir. Je suis restée quelques semaines à l’hôpital, j’ai vu un psychologue qui m’a dit que ce  n’était pas ma faute et que tout irait mieux. Une fois rentrée à la maison j’ai senti toute cette haine venant de mes parents. Je n’allais plus à l’école, je ne sortais plus, je ne mangeais plus. Un soir en entendant pleurer ma mère, j’ai craqué. J’ai pris un couteau dans la cuisine et j’ai tranché mes poignets. Sans réfléchir, je savais que je méritais de mourir.

Je me suis encore retrouvée à l’hôpital. Je ne sais pas pourquoi ils ne m’ont pas laissé crever. J’ai promis aux médecins que si je sortais d’ici, je recommencerai et que cette fois ce serait la bonne.
Ils m’ont envoyé dans une clinique spécialisée. Je prenais des médicaments, je voyais un psychiatre, j’avais des thérapies de groupe. C’est comme ça que j’ai rencontré d’autres personnes, surtout des filles, aussi folles que moi. Nous avions chacune notre histoire. On lisait des magazines, on se coiffait, on se maquillait. Je ne me suis jamais sentie aussi bien qu’à la clinique. Je suis sortie deux ans plus après. 20 ans. Sans diplôme et cinglée. J’ai cherché un travail mais personne ne voulait de moi. Je suis restée dans un foyer quelques semaines, pour dormir et ne pas mourir de faim. Un seul bar a accepté de m’embaucher. D’abord à l’essai. Je me suis tout de suite sentie à l’aise. C’est un bar gay et il me convient parfaitement. Je ne juge personne. Grâce à ça, j’ai pu trouver un tout petit studio. Ce n’est pas grand-chose mais c’est chez moi. Je prends encore des médicaments et je vois mon psychiatre trois fois par semaine. Je tente d’aller mieux. Je suis sur la bonne voie.