Dans un silence de marbre, inhabituel, Kovalovski Anastasiya était éperdument concentrée sur l'une de ses activités favorites, à savoir, prendre soin de son apparence. On avait beau dire qu'il fallait souffrir pour être belle, la russe ne voyait dans les soins qu'elle s'octroyait, qu'un moyen de magnifier sa beauté déjà évidente. Assise sur le sofa cuivré de son appartement, elle appliquait une dernière couche de rouges sur ses ongles parfaitement manucurés - sans oublier d'y ajouter du top coat - et attendit patiemment que le vernis sèche,soufflant légèrement dessus de temps à autres pour accélérer le processus. Les mouvements brusques étaient bannis pour les quelques minutes qui suivaient, de même qu'un quelconque geste impliquant ses mains. Après tant d'années à peindre méticuleusement ses ongles - c'est qu'elle avait commencé jeune -, Anya était certainement passée maîtresse en matière de nail-art. Toutefois, même si elle avait misé sur le simple aujourd'hui, elle refusait de voir son travail gâché à cause d'une stupide maladresse. Elle y jeta d'ailleurs un coup d'oeil avec satisfaction : aucun débordement et tout était complètement lisse. Elle se leva alors et marcha jusqu'à sa chambre où l'attendait son imposante glace en pied - instrument essentiel à toute narcissique qui se respectait. Elle s'était habillée, plus tôt ; elle s'était également occupée de sa coiffure. Alors elle s'admira de longues minutes, de ses cheveux soigneusement ondulés au fer, à sa robe qui lui arrivait un peu au dessus du genoux, presque mi-cuisse sans être pour autant trop courte. Celle-ci n'était pas complètement noire mais elle restait sobre. Oui, Anya avait misé sur la sobriété, du noir principalement, comme la veste qu'elle avait laissé tomber sur ses épaules, mais des chaussures à talons aux tons argentés. Elle replaça une mèche rebelle derrière son oreille, sourit et battit de ses cils ombrageux vers son reflet ; il lui fallait désormais aller chercher son sac.

C'est qu'Anya avait rendez-vous. Elle avait été invitée au restaurant par un homme rencontré il y a quelques temps - elle avait d'ailleurs pris un coupe-faim à midi, pour l'occasion ; n'allait-elle donc pas bien manger ce soir ? Yi Feng, Long Yi Feng, tel était son nom. Un homme pas si anonyme que ça, l'égérie de Dior, rien que ça. Cela n'avait pourtant pas été assez pour l'impressionner ; un nom, une notoriété... elle avait connu assez de célébrités dans sa vie pour que cela y change quelque chose. La russe l'avait vu pour la première fois en soirée, il était venu à sa table, sûrement parce qu'elle détonnait de tout le reste. Anya avait préféré rester mystérieuse, tout en rentrant dans son jeu de séduction, pour se dérober à la dernière minute, comme elle aimait le faire, à chaque fois, toujours. Cependant, il avait réussi à obtenir son attention - chose délicate chez elle - assez pour qu'elle veuille le revoir une fois, un autre fois puis plusieurs. C'était sûrement la classe et le charisme manifeste qu'il dégageait, en plus de sa position, qui avaient joué. Quoi qu'il en soit, c'était vers lui qu'elle marchait à présent, magnifique - comme à son habitude. Elle arriva à sa hauteur et le détailla discrètement de la tête au pieds. « Bonsoir… » Assurément, la classe n'était pas ce qui leur manquait, que ce soit à l'un ou à l'autre ce soir. D'ailleurs, ils étaient parfaitement accordés, tout de noir vêtus ou presque pour la demoiselle. « Bonsoir, comment vas-tu ? » Elle lui lança un regard mutin tout en entrant dans la voiture. « Je peux paraître ringard, mais tu es splendide ce soir. » Ringard, ringard, ringard... C'était toujours mieux qu'un "hé la gazelle, charmante" et même, Anya aurait accepté avec un plaisir feint. Un compliment est un compliment, la comédienne n'en déclinait aucun. Elle leva la tête vers Yi Feng et répondit dans un rire enjôleur : « Merci, tu n'es pas mal non plus. » Elle s'installa dans le véhicule en attendant que le conducteur prenne sa place. Pour sûr, c'était d'une belle voiture. La russe se tourna vers le chinois, l’œil brillant. « Alors, où tu m'emmènes ? » demanda-t-elle avec un soupçon de défi dans la voix. Il ne lui avait rien dit, elle mourrait de curiosité.

Anastasiya n'était pas le genre de filles qui avaient des rendez-vous "galants". Elle n'était pas non plus du genre à enchaîner les coups d'un soir. Non, elle était à part ; elle préférait mieux allumer les mecs en soirée pour mieux les refroidir. Elle séduisait, beaucoup, souvent avec Sansa d'ailleurs. Elle envoyait des œillades, des sourires complices ; elle attirait les hommes comme un aimant. Ils venaient vers elle, commençaient leur baratin, elle entrait dans leur jeu volontiers et récoltait compliments sur compliments avec ravissement. On avait beau dire que la russe en faisait trop, il lui suffisait d'un rien pour envoûter les regards. Elle avait un truc, inexplicable. « Je ne vais pas te mentir, ça fait deux nuits que je ne ferme pas l’œil, mais, dis moi que le fait de passer du temps avec toi va totalement me changer les idées, ha ? » Anya sourit, espérant intérieurement être la raison de ses insomnies, ne serait-ce que pour  gonfler encore davantage un ego monstrueux, jamais en berne. « Ah oui ? J'espère que tu n'es pas trop fatigué alors... » répondit-elle d'une voix malicieuse. La jeune femme avait nombre de fois tenu des hommes éveillés des nuits et des nuits, plongés dans des pensées hantées par elle-même. C'est ce qu'elle voulait, c'est ce qu'elle aimait. Les rendre fou, qu'il ne s'agisse que d'elle, elle et encore elle, assoiffée d'attention. Pourtant, Anya conclut pas, peu ou peu souvent. Elle évite parce qu'elle mérite mieux, bien mieux qu'un mec minable qui lui ressort des phrases d'accroches apprises par cœur. Elle ne va pas plus loin que la soirée généralement, elle préfère s'éluder quand la tension est à son comble. Parce qu'elle n'est là que pour le jeu, juste pour s'assurer que nul ne peut lui résister. Elle rejeta un regard vers le mannequin lorsqu'il monta à bord du véhicule. Anya était spéciale, Anya était exceptionnelle. La présence de cette homme à côté d'elle ne faisait que le prouver davantage.

Yi Feng passait ses journées avec des mannequins, des égéries plus belles les unes que les autres. La brune était flattée mais surtout pas surprise qu'il lui porte autant d'intérêt ; il n'y a avait pas de femme plus convaincue de valeur qu'elle dans la ville. Cette constante vision de la beauté n'était qu'une plus-value. « Je n’ai pas envie de t’amener dans un endroit trop exposé cette fois. Les paparazzi et autres reporters sont anormalement d’attaque pour cette fin d’année, et je ne veux pas que l’on soit dérangés. » Anastasiya était une anonyme - vouée à devenir une star mondiale mais, anonyme. Elle n'était cependant pas vraiment le genre de filles à refuser flashs et autographes à signer, loin - très loin - de là. Quiconque la connaissait savait qu'elle recherchait la gloire à tout prix ; elle serait célèbre qu'elle s'amuserait à tout va des scandales qu'elle provoquerait certainement. Elle en provoquait déjà d'ailleurs, à son échelle néanmoins. Toutefois, elle se contenta d'acquiescer en esquissant un sourire. « Allons dans un endroit calme, il vaut mieux en effet. Je ne voudrais pas que ton regard se détache de moi pour des journalistes. » Elle lâcha un rire amusé, un rire exquis. Disait-elle cela pour lui plaire ou bien ne le voulait-elle vraiment que pour elle seule ? Nul ne le savait, nul ne pouvait le savoir. La comédienne était bien trop versatile pour cela. On ne savait jamais sur quel pied danser avec elle. Si elle jouait un rôle ou non, rien ne le laissait deviner sur son visage, mais la belle était une excellente actrice, non ?

Arrêt de la voiture, ils arrivaient à un feu rouge. Yi Feng se retourna vers elle, replaçant une de ses mèches de cheveux. Anya ne fit qu'un sourire en guise de remerciement ; elle devait bien avouer qu'il était d'une classe étonnante, elle pouvait s'en rendre compte à chaque fois qu'elle le regardait. « Quelque chose me dit que tu n’as pas encore dîné, alors je te propose que l’on passe dans un petit restaurant de la zone. Ce n’est pas le luxe débordant, mais, je te promets que c’est très intime et classe, cela te convient ? » En effet, la jeune femme n'avait pas mangé de la journée. Elle s'était contentée d'un coupe-faim et d'une petite pilule magique pour tenir. D'habitude, elle mangeait un minimum mais aujourd'hui, elle avait préféré attendre, histoire de ne pas laisser son assiette de côté sans raison, s'ils allaient au restaurant. « C'est parfait, je te fais confiance pour ce soir. » Comme dit plus tôt, Anya n'avait pas l'habitude des dates usuels, ceux qui semblent mener tout droit à un couple. Ce genre de rendez-vous. Pas ces temps-ci en tout cas. Elle ignorait d'ailleurs pourquoi elle avait accepté de le revoir autant de fois. Elle n'était pas non plus le genre de filles à se poser ; elle était volage, libertine. Le fait est que lorsqu'elle était dans une relation "sérieuse" elle n'était pas dans la demi-mesure, et aimait, aimait de tout son cœur et de toute son âme. Elle était toujours dans l'excès, certes, mais en amour, lorsqu'elle ne joue pas, elle était déçue par ces hommes à qui elle donnait tout. C'était elle qu'on avait mangée toute crue.

Ils étaient arrivés et Anya se saisissait du bras de son compagnon pour sortir du véhicule. Yi Feng avait ce côté mystérieux, calme, et classieux qui l'intriguait. Était-il un nouveau challenge ou... plus ? A cet instant, il n'y avait que la première option qui lui venait en tête. Un jeu, un jeu pour avoir la grande égérie Dior. Oh, elle ne savait pas... Le couple entra dans l'établissement et ce qui fut certain, c'est qu'il ressortait du lot. Non pas que l'endroit manquait d'élégance mais les clients étaient obligés de jeter un regard, au moins un, à ce flot de charisme. Ils s'assirent et la jeune femme fit sa commande. « Tu ne prends rien ? » demanda-t-elle, surprise. Les plats arrivèrent par la suite et avant de commencer à manger, Anya regarda le chinois dans les yeux. « Alors, dis-moi tout, comment c'est d'être l'égérie d'une maison haute-couture ? » Étrangement, elle s'était intéressée à lui, pas à elle. Elle avait posé une question qui tournait autour de lui, pas d'elle. Son intérêt n'était peut-être pas aussi calculateur qu'elle pouvait l'être...