ici, ton histoire sous forme de chronologie, d'anecdotes, de récit, de journal ou autre ; 300 mots minimum.

Cher journal,

Je viens de voir que j’arrive à ta dernière page. Je me souviens encore de ce jour de mes sept ans où maman m’a offert ce magnifique cadeau, toi. Quand je relis ce que j’ai écrit à cette époque, je me dis que c’était sans doute une belle période, période d’insouciance, où tout ce qui m’importait c’était d’aller à l’école et de savoir ce que j’allais manger à gouter. La vie était tellement simple. Je crois que tu es le seul à connaitre ma vie, en long en large et en travers. Parfois quand j’ai des baisses de moral, c’est toi que j’ouvre, toi que je lis, et toi qui me réconforte comme personne ne l’a jamais fait. Je ne dis pas que ma famille n’a jamais été présente pour moi, bien au contraire, mais avec toi, tout était plus simple. Il me suffit de parcourir tes quelques pages pour savoir que tu étais le seul à qui je me confiais. A qui je racontais ma vie même, rien qu’à voir toutes les photos qui sont sensées être collées et qui se décollent avec le temps. Je me rappelle encore quand maman a pris la première photo. Je te tenais dans mes bras, moi Maeda Hanae du haut de mes sept ans, petite brune venant de souffler les bougies de mon gâteau d’anniversaire. J’étais vraiment mignonne à cette époque. Si je tourne les pages, je trouverais sans doute une photo de famille, c’était pour mes dix ans je crois. Maman avait passé la journée à préparer à manger pendant que papa m’avait amené dans les boutiques. Ça aussi, je m’en souviens encore. C’était le bon temps d’ailleurs. Le temps où je pouvais les voir aussi souvent que j’en avais envie. Eux, ma famille, mes parents, mon frère, mes cousins et cousines. Je crois que c’est aussi la dernière où toute la famille est réunie.

Peu de temps après cette photo là, j’ai perdu mes parents. A cette période de ma vie, tu m’as sans doute été bien plus utile que le stupide psychologue qu’on m’a forcé à aller voir. Je ne compte même plus le nombre de pages que j’ai noirci de colère ou de tristesse. Certaines de tes pages ont même gardé des taches de larmes. Je me sentais seule, et heureusement que tu étais là. Mon seul confident. Le décès de mes parents était tellement soudain. Cet accident de voiture, je revois encore les images aux journaux. On en a parlé dans tous le Japon. Accident spectaculaire, un seul survivant, une petite fille âgée de dix ans. Moi. Suite à ça, j’ai déménagé en Corée du sud. A Séoul plus précisément, chez ma tante. Autant dire que le déménagement a été plus que rude. J’avais l’impression qu’on m’arrachait ce qui me restait de mes parents. Puis le temps passa. La peine s’estompa peu à peu, sans que jamais je n’oublie ce qu’il s’était passé ce jour là. D’ailleurs, il m’arrive encore d’en faire des cauchemars.

Et puis il y a eu ce jour, il y a trois ans maintenant. J’étais assise dans un bar à siroter un jus d’orange avec ma cousine quand un homme sorti de je-ne-sais-où est venu nous voir et m’a demandé si j’avais déjà fait des photos ou fait du mannequinat. Sérieusement ? Moi ? Du mannequinat ? Jamais. J’étais bien trop timide pour faire ça, et sans doute pas assez jolie. Il m’a donné sa carte en me disant que si je changeais d’avis, je pouvais toujours le contacter. Franchement, à l’époque, j’avais du mal à m’imaginer dans un tel milieu. C’était tellement opposé à ce que je connaissais. Je vivais dans un quartier modeste voire pauvre de Séoul, je travaillais après les cours pour avoir un peu d’argent. J’aidais ma tante et mon oncle au mieux que je le pouvais et là, on me proposait de faire du mannequinat ? Je ne savais pas trop quoi en penser. Et puis je me souviens de cette discussion avec ma cousine. Pour elle, le mannequinat, c’était surtout un moyen de se faire de l’argent facilement. Alors elle m’a convaincue de tenter le truc. Au pire, d’après elle, je pourrais toujours faire marche arrière.

Le problème, c’est qu’elle avait tort. Maintenant, ça fait trois ans que je suis mannequin. Alors oui, c’est sur je gagne beaucoup d’argent. Mais je crois qu’au fond, c’est le seul bon coté des choses. Si je met de coté tous les vêtements que je récupère aussi. Parce que le mannequinat, c’est loin d’être le paradis. C’est juste horrible. La plupart des filles sont d’une jalousie maladive, prêtes à tout pour t’écraser. Tout l’opposé de ce que je suis. Nous devons suivre des régimes plus que strict pour ne pas prendre un gramme. Moi qui aime manger autre chose que de la salade, autant dire que ce n’est pas une partie de plaisir. Et puis je t’explique même pas la pression. A croire qu’on est payées à la photo tirée. Ou au magazine vendu. Tout ce qu’ils recherchent c’est l’image parfaite. La fille qui représentera tel ou tel modèle à suivre pour les jeunes. Et moi, j’ai déjà cette image là, celle de la fille des quartiers pauvres qui réussi dans un monde très éloigné du sien. Pour ma part, je ne parlerais pas de réussite. Non. Loin de là. Si je devais conseiller quelqu’un sur le mannequinat, je lui dirais de fuir. De fuir ce milieu comme la peste. Parce que ce monde te coupe du monde d’où tu viens. Je n’ai que peu de contact avec mes amis et ma famille. Ce monde te pourri jusqu’à l’os. Alors oui, parfois j’ai envie de tout arrêter. De tout envoyer valser et de rentrer au Japon. Mais quelle vie m’attendrait là bas ?

En attendant, nous voilà aujourd'hui à ta dernière page et j'ai décidé de ne jamais te remplacer, c'est pour ça que maintenant je n'écrirais plus ma vie mais je la vivrais. Aujourd'hui en te refermant, j'ai l'impression que c'est une page de ma vie qui se tourne. Ne t'en fais pas, je te garderais toujours près de moi. Au revoir cher journal, l'histoire de ma vie c'est toi!