Les enfants sont cruels. Mika regarde sa fille jouer dans le parc, près du bac à sable. Un petit garçon vient près de son enfant, elle n'entend pas ce qu'ils se disent mais ses yeux deviennent aussi gros que des soucoupes en voyant le garçon tirer brusquement les nattes de sa petite Yume. Ô, ce microbe s'est attaqué au mauvais enfant. S'approchant à pas de géant, elle l'attrape par le col et soulève ce morveux qui a osé lever la main sur sa princesse. Il a beau essayé de se débattre et de gesticuler dans tous les sens pour qu'elle lâche prise, Mika ne flanche pas et raffermit même sa prise. Après avoir laissé en suspens le petit garçon, elle le repose sur le sol et lui passe un savon. Elle veut des excuses. Bien qu'il se mette à bouder, Mika ne le lâche pas tant qu'il ne s'excuse pas. Et c'est ce qu'il fait après avoir compris qu'elle n'abandonnerait pas. « De toute façon, t'auras pas toujours ta mère ! » Le morveux en profite pour tirer la langue après sa réplique culottée et s'enfuit en courant sans que Mika ait le temps de réagir. Les bras ballants, la japonaise reste inerte quelques secondes puis se reprend, resserrant sa prise autour de la main de sa fille. Elles quittent le parc juste après l'incident.

La première fois que Mika dû se sortir d'un pétrin quelconque sans l'aide de sa mère, ce fut seulement au lycée étant le stéréotype classique de la petite fille à papa et maman, jupe plissée et nœuds dans les cheveux en prime. Sa natte devait obligatoirement être tressée sur le côté, en veillant à ce qu'aucune mèche ne dépasse, le couvre-feu était à 18 heures tapantes et suivre les cours particuliers que ses parents lui avaient soumis n'étaient pas optionnel. Mais cette rigidité ne lui avait jamais sauté aux yeux ni inquiété, utilisant comme excuse le pseudo-amour que ses parents pouvaient lui porter. Et quand son père déchirait ses gribouillis, comme il aimait les appeler, qui représentait des corps de femme habillés de vêtements qu'elle s'amusait à imaginer, elle se taisait et acquiesçait sans que cela lui mette la puce à l'oreille. Mika devait juste garder le silence, lacer ses chaussons de classique et danser, bien travailler à l'école, briller, que dis-je exceller dans ses études. Et suivre la destinée que ses parents lui avait tracé.

Elle a commencé à se poser des questions quand elle a décidé de se défendre seule. C'était un matin comme les autres. Mika n'était pas du genre à chercher les problèmes, elle représentait plutôt la fille à qui le nom se retrouvait au top du classement, l'élève sans histoire et discrète. Pourtant, ce jour là, il fallut une simple rencontre entre Mika et un des trio les plus craint de son école réunissant trois filles aux cheveux décolorées, aux teints trop hâlés, aux habits excentriques, pour que Mika se retrouve cloîtrée dans le bureau du directeur, les parents arrivant à vive allure. Ce jour-là, Mika eut les cheveux coupés aussi court qu'un garçon et la joue anormalement rouge. Elle se souvient avoir essayé de reproduire toute la nuit les tenues loufoques des trois pimbêches avec qui elle s'était battue.

Est-ce la raison qui a précipité son départ de la maison familiale ? Une prise de conscience soudaine après un temps long mais ne dit-on pas qu'il vaut mieux tard que jamais ? Ce dont elle se souvient, c'est d'avoir claqué la porte -mais pas trop fort- sans trop savoir où aller ni quoi faire et qu'elle s'était retrouvée à Incheon. Avec en sa possession une forte envie d'évasion et quelques bases du lycée en coréen. Débutant une école de danse, la seule chose qu'elle avait faite durant toute sa vie, elle abandonna très vite et eut plusieurs mois de flottement, de vide où elle enchaîna les petits boulots. C'est durant ses 20 ans, quand Mika passa son anniversaire seule dans un minuscule studio avec une pauvre pâtisserie en face d'elle et que la prostration était au plus haut point, qu'elle décida qu'il fallait que tout change. Exit les boulots miteux, bonjour les nouvelles études et dans la mode cette fois-ci. Quelque chose qui l'avait toujours passionnés, elle se mentait juste depuis le début. Ressortant les quelques rares croquis qu'elle avait pu sauver de la passion dévorante de son père de détruire tout ce qu'elle créait, et en se penchant dessus, elle réussit à en faire quelque chose de potable après plusieurs nuits blanches passées à suer sang et eau sur une machine à coudre. Avec l'idée de se faire un peu d'argent en même temps qu'elle continuait ses études dans la mode, elle commença à vendre et à plaire. Avec un réel goût vestimentaire et un style bien particulier -elle avoue avoir puisé son inspiration sur les trois filles qui lui avaient cherché des noises au lycée et qui se trouvaient être des ganguro-, ses amis ont commencé à se faire nombreux, la notoriété grande, les recettes fructueuses. Et les histoires de cœur abondantes.

Mika est jolie, jeune et intelligente. Ce que pourrait rechercher tout garçon qui voudrait une petite-amie. Pourtant, elle n'a jamais eu de vrais copains à cause de ses parents qui la surveillaient même sans qu'elle s'en rende compte -quelques filtres par-ci, par-là mais cela s'arrêtait rapidement-. Bien sûr, elle est déjà tombée amoureuse mais lui, c'était autre chose. Dès qu'elle l'avait vu, alors qu'elle venait de pénétrer à l'intérieur d'un club en vogue avec des amis dont les noms lui sont impossibles de se souvenir, elle avait su qu'elle ne pourrait plus le sortir de son esprit tant qu'elle ne lui aurait pas adressé la parole. Ils ne s'étaient pas lâchés du regard, se jetant de brûlants œillades. Et le résultat fut une passion qui ne cessa durant plus de 4 mois. Quand on lui demandé qu'elle était la raison de ses sautes d'humeur, un coup joyeuse, un autre bouleversée, elle rougissait. Le nom de l'homme lui brûlait les lèvres, le secret de son identité l'excitait. Et puis un jour, sur la cuvette des toilettes, elle fixait la barre bleue qui venait de s'afficher sur le test de grossesse qu'elle venait d'effectuer. Cette passion dévorante aboutit à un enfant. Le problème, c'est que le père était une star montante, un peu comme Mika avec sa carrière de créatrice qui montait doucement.

Bien sûr, tous ses rêves ont volé en éclat. Et Mika a causé de nombreuses sueurs froides à l'homme qui l'avait mis enceinte en lui avouant que non, jamais elle ne pourrait avorter. Cet enfant, elle le voulait parce qu'après tout, c'était le résultat d'un amour, même de 4 mois. Et la japonaise l'avait vraiment aimé cet homme, elle voulait garder cet enfant malgré qu'elle ait seulement 21 ans et prendre le risque de se faire abandonner par tous. Contre toute attente, le géniteur resta et la soutenu à sa façon, suivant sa grossesse tout le long jusqu'au terme. Ceux qui coupèrent les ponts de façon définitive furent ses parents avec qui elle avait une relation quasi-inexistante depuis son départ d'Osaka. Et Yume naquit. Cela peut paraître un peu guimauve mais elle ne pouvait pas détacher ses yeux de ce petit bout, cela ne fit que renforcer son idée : bien décidée à s'occuper d'elle mais surtout, éviter les mêmes erreurs que ses parents ont pu faire. L'homme voulait aussi voir sa fille et Mika ne l'en empêcha pas, trouvant cette relation presque adorable. Mais cela lui fendait le cœur de ne le voir passer seulement quelques heures auprès de leur fille et plus les mois passaient, moins les choses changeaient. Quand la notoriété du père grimpait, le quotidien de la jeune maman et du bébé empirait. D'après Mika, cette situation était invivable et ne voulant surtout pas que son enfant grandisse et vive dans le secret, elle décida de partir. Avec un homme rencontré un peu plus tôt et qui lui avait déjà proposé de partir vivre ensemble aux USA. Sautant sur l'occasion, elle s'enfuit avec sa fille, effaçant toute trace pour que le père ne puisse les retrouver. Mais prise de remord, Mika finit par lui envoyer une lettre où elle lui dit seulement le minimum, histoire de le rassurer.

Dans l'avion, le stress lui tordait tellement le ventre qu'elle était incapable de se souvenir d'autre chose que des gémissements de sa fille lui demandant quand allaient-elles arriver ou de ses doigts qu'elle tordait dans tous les sens. Le retour était arrivé plus vite que prévu et cela l'angoissait. Sa fille n'avait que 6 ans, l'âge où elle commençait à se poser de réelle question sur son père. Qui est-il, que fait-il mais surtout pourquoi n'était-il pas là. Mika, incapable de répondre, appréhende. Mais malgré la boule au ventre, si elle est de retour, c'est pour affronter la vérité en face et arrêter de mentir. Prête à tout dévoiler, elle n'attend qu'une chose : ne plus se cacher, que sa fille soit reconnue et que le poids du secret ne pèse plus sur son pauvre petit cœur.