Je n'ai jamais voulu de cet argent, de toute cette fortune qui me pendait au nez dès ma naissance. Ce que j'ai toujours voulu, c'était être libre. Libre de mes mouvements, de penser, de faire ce que je voulais. Être simplement libre. Mais comme un idiot j'ai toujours suivi les indications de mes parents, non, plutôt celle de mon père qui avait une très grande influence sur moi. J'aurais pu faire comme tous ces gosses qui se rebellaient contre leurs parents mais, allez savoir pourquoi, je ne l'ai jamais fait. J'étais trop obéissant, je voulais trop bien faire.

– Ying Jie, ne prévoit rien pour ce soir, je vais te présenter au conseil administratif dirigeant les centres commerciaux Est de Chine. Il faut qu'il s'habitue à ta personne, qu'il ne soit pas surpris quand tu prendras la relève.

Comme d'habitude je n'avais rien répondu, je n'avais même pas osé dire que j'avais déjà des plans, car comme à chaque fois, j'allais les annuler, plantant mes amis pour la énième fois. Mais bien évidemment, il n'y avait que moi que cela affectait, mon père s'en fichait bien. Il n'avait que deux mots à la bouche : « argent » et « travail ». Sa vie était régit par ces deux mots, son monde tournait autour d'eux. Ma mère n'était pas mieux mais au moins elle était plus vivable. Elle n'était pas très présente au quotidien et c'était sûrement pour cela que je la préférais à mon père. Elle voyageait souvent, très souvent même mais avait l'immense gentillesse de ne pas imposer son travail dans ma vie. C'était le genre de personne qui faisait semblant de ne pas se préoccuper de son propre enfant alors que c'était tout le contraire. Les seules fois où on se croisait, elle arborait sans cesse un regard désolé. Elle ne m'avait jamais exprimé ses sentiments mais, j'avais la nette impression que ces regards ne signifiaient qu'une chose : la tristesse. Au début, quand j'étais encore jeune, je ne comprenais pas pourquoi elle était en permanence triste. Puis, en grandissant, j'avais fini par comprendre. Elle était triste pour moi. Triste de voir que je n'avais aucun contrôle sur ma vie. Triste que je n'ai pas plus de liberté.

– Ying Jie, tu as maintenant vingt-deux ans. Dans très peu de temps, je te présenterai la fille cadette d'une très grande famille coréenne, pour que vous vous mariez.

Cette simple phrase fut un déclencheur. Je savais que si je ne réagissais pas, si je ne faisais rien pour empêcher cela, je serais comme condamné.

– Je refuse, avais-je d'un ton qui se voulait sûr bien que ce n'était pas du tout le cas. C'était peut-être la première fois que j'allais à l'encontre des décisions de mon père et je savais très bien que j'allais le regretter jusqu'à la fin de mes jours mais, qu'importe. Tout ce que je voulais, c'était de pouvoir enfin faire mes propres choix. Mais je n'avais pas prévu que cette simple envie dégénère en une énorme dispute entre mon paternel et moi-même. Et que le seul résultat obtenu soit mon départ de la maison familiale dans laquelle j'avais vécu pendant près de vingt-deux ans. Mais ce n'était plus mal. Peut-être fallait il que je parte de cet endroit pour pouvoir enfin vivre ma vie pleinement.

Ce n'était que deux semaines après mon départ que ma mère fut au courant de toute cette histoire mais, je ne lui en voulais pas. Comme toujours, elle devait être débordée par son travail. Au moment où elle me téléphona, j'avais déjà quitté le pays pour partir jusqu'en Corée du Sud, à Séoul.

– Ying Jie, je suis désolée. Ce fut les seuls mots qu'elle prononça au téléphone avant de raccrocher. J'aurais voulu lui répondre que moi aussi mais, d'un autre côté, cela aurait terriblement sonné faux, car à vrai dire, j'étais heureux.